The Turbine! [The Bridge #3]

 

Harrison Bankhead (double bass), Benjamin Duboc (double bass), Hamid Drake (drums, perc) & Ramon Lopez (drums, tabla)

Depuis 1960 et « Free Jazz » d’Ornette Coleman, qui avait redoublé chaque instrument de son quartette, jusqu’aux structures en miroir des formations de Roscoe Mitchell ou d’Henry Threadgill, la démultiplication d’une section rythmique déjà vouée à toutes les croissances et excroissances a connu de nombreuses incarnations. Depuis février 2014, une première tournée retentissante en France “on The Bridge” et un premier enregistrement pour le label Rogue Art, il y a également The Turbine ! avec Harrison Bankhead, Benjamin Duboc, Hamid Drake et Ramon Lopez – deux considérables contrebassistes, deux batteurs considérables, la recrudescence des rythmes. En l’occurrence, pourtant, il s’agit de bien autre chose que du renforcement ou de l’autonomie de la “section rythmique”, de jouer ou de jongler avec les pulsations, de bien autre chose que de combustion – même si les hommes de la turbine gardent cette puissance par-devers eux, la puissance de transformer n’importe quel rythme en connecteur, en générateur, en régénérateur. Pour reformuler les choses comme Bankhead, Drake, Duboc et Lopez les laissent entendre, et croître : il s’agit de quatre musiciens créateurs, distinctement, se livrant à une musique totale, (accessoirement) faite sur des contrebasses et des batteries. Ensemble, telluriques ou transparents, les quatre hommes brodent mesures et démesures, nouent alliance sur alliage, remontent tous les temps, sont les maîtres du sentiment de la durée et des permutations, traitent de matières, de mouvements, de vitesses, de flux, de réalités. Sagesse du rythmicien (physicien ?) Drake : « De nos jours, les physiciens eux-mêmes s’aperçoivent de cela : qu’il n’y a pas de nature inhérente. La forme est vide. Si vous regardez n’importe quel objet sous un microscope, vous verrez d’autres choses, d’autres éléments, alors que l’objet paraît doté d’une forme solide. Je suis heureux d’accomplir cette fonction qui donne l’impression qu’un rythme est gardé, dans une situation donnée, profitable aux êtres, quoique je sache que je ne garde rien du tout. Comment le pourrais-je ? Le temps se meut constamment. Et ces mots même que l’on utilise : « garder » le rythme, « garder » le temps »… Illusions. » En pleine conscience des chemins qui s’ouvrent à tout moment à la musique créée dans l’instant, les quatre polyrythmiciens plongent dans le courant continuel des choses et des êtres, et convient fréquemment un cinquième improvisateur à se joindre à eux, à tamiser ou à magnétiser leurs échanges collectifs. De l’un à l’autre, tout est en jeu, tout est dans les hautes sphères politiques du jeu. La communication est définitivement établie. D’emblée et pour toujours ce sera l’euphorie, les royaumes retentissants.