Cet ensemble, dans une configuration légèrement différente, a d’abord traversé The Bridge au printemps 2015, vers Chicago. Comme il est de coutume, les membres de ce quartette n’avaient jamais joué ensemble auparavant, hormis quelques séances préparatoires pour chacun des saxophonistes avec le batteur (Samuel Silvant a d’abord rencontré Mars Williams lors d’un enregistrement avec Larry Ochs, Julien Desprez et Mathieu Sourisseau en avril 2014 à Chicago, et Antonin-Tri Hoang pour une session en mars 2015 à Paris). Mars Williams avait alors résumé la situation, donné le signal du départ : « L’opportunité qui nous est offerte est d’autant plus unique et excitante que le temps nous est donné pour explorer et développer une musique à travers une série de concerts et de performances. Les différents vocabulaires, les différents langages musicaux que chacun apportera dans ce projet suggèrent d’innombrables et passionnantes possibilités d’expérimentation. » Qu’il s’agisse de déployer les grandes étoffes rythmiques, de les déplier et replier en coudes et courbes plus ou moins accentués, de suivre et d’alimenter les courants énergétiques, électrisants, ou de reconsidérer la mécanique même de l’instrument comme source sonore, émetteur d’ondes, véhicule de l’inouï, qu’il s’agisse de faire monter la fièvre de l’interplay, d’étirer la pâte des souffles, de raréfier leur retentissement, que ça fuse, ruse ou luise, seul compte d’être capable de tout. Avec l’aide phénoménale, cette fois-ci, de Tatsu Aoki – mieux qu’un support : la contrebasse la plus pendulaire, la plus hypnotique, de tout l’univers. Des soundscapes, des paysages sonores à l’infini, réellement relayés par des images en métamorphose, des films expérimentaux préparés par ses soins.

            Ce n’est peut-être pas anodin que ce soit Samuel Silvant, le batteur du groupe, l’homme des répercussions, qui récapitule : « Quoi de plus “simple” que les tambours et les roseaux ? Nous serons ici “libérés” du soutien harmonique d’un piano ou d’une guitare ; mais aussi de l’électricité. Retour au primordial ? Liberté ? Liberté pour moi essentielle dans la musique que nous défendons. Je pense aux origines, aux tambours accompagnés de voix. Je pense aux fanfares et à la liberté de pouvoir jouer en toute circonstance… Explorer la répétition, le contrepoint et les différentes tessitures du saxophone, les différentes voix de mes camarades de jeu. » Et le batteur d’évoquer aussi bien les sections d’anches des orchestres de Count Basie et de Stan Kenton que celles de l’orchestre de James Brown, le travail des timbres chez Jimmy Giuffre ou chez Steve Reich… Un trésor de saxophones et de clarinettes, la chaîne de montagnes de la contrebasse et de la batterie, les torrents qui dévalent leurs pentes, les coulées de lave qui épaississent leurs flancs, les remontées tout sauf mécaniques (les ascensions selon John Coltrane), ou comme le dit si bien Antonin-Tri Hoang, « l’occasion rêvée pour réinventer un son, redevenir un enfant qui découvre tout au fur et à mesure, qui compose avec les objets, les êtres et les paysages autour de lui. Trouver une musique commune qui n’aurait plus d’âge, plus d’origine, mais une langue pour gazouiller, des pieds pour se déplacer et le voyage pour grandir. »