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                  Comme toujours avec les ensembles franco-américains traversant pour la première fois The Bridge, les membres de ce quartette n’ont jamais joué ensemble auparavant, hormis quelques séances préparatoires pour chacun des saxophonistes avec le batteur (Samuel Silvant a d’abord rencontré Mars Williams lors d’un enregistrement avec Larry Ochs, Julien Desprez et Mathieu Sourisseau en avril 2014 à Chicago, puis Ernest Khabeer Dawkins pour un concert en trio avec Bernard Santacruz en décembre 2014 à Nîmes, enfin Antonin-tri Hoang pour une session en mars 2015 à Paris). Mars Williams résume la situation, donne le signal du départ : « L’opportunité qui nous est offerte est d’autant plus unique et excitante que le temps nous est donné pour explorer et développer une musique à travers une série de concerts et de performances, puis de documenter notre collaboration avec un enregistrement. Les différents vocabulaires, les différents langages musicaux que chacun apportera dans ce projet suggèrent d’innombrables et passionnantes possibilités d’expérimentation. » Car cette fois-ci, pour cet ensemble de trois saxophonistes (et clarinettistes), les antécédents ne manquent pas, surtout depuis que les formations articulées autour des instruments à vent sont devenues d’usage courant dans le champ jazzistique. Il y a quelques années, Ernest Khabeer Dawkins a d’ailleurs animé le quartette Saxophonitis (composé, selon les circonstances, d’Ari Brown, Edward Wilkerson, Jr., Mwata Bowden, Vandy Harris ou Edward House), et son essentiel concours à l’Ethnic Heritage Ensemble de Kahil El’Zabar n’est plus à démontrer. Plus récemment, et après avoir longtemps participé au tempétueux Chicago Tentet de Peter Brötzmann, Mars Williams a contribué à la création d’un autre quartette de saxophonistes chicagoans, aux côtés de Ken Vandermark, Dave Rempis et Nick Mazzarella. Quant à Antonin-tri Hoang, en France, il collabore à WATT, quartette de clarinettes et clarinettes basses avec Jean Dousteyssier, Jean-Brice Godet et Julien Pontvianne. Qu’il s’agisse de déployer les grandes étoffes rythmiques, de les déplier et replier en coudes et courbes plus ou moins accentués, de suivre et d’alimenter les courants énergétiques, électrisants, ou de reconsidérer la mécanique même de l’instrument comme source sonore, émetteur d’ondes, véhicule de l’inouï, qu’il s’agisse de faire monter la fièvre de l’interplay, d’étirer la pâte des souffles, de raréfier leur retentissement, que ça fuse, ruse ou luise, seul compte d’être capable de tout.

            Aussi n’est-ce peut-être pas anodin que ce soit Samuel Silvant, le batteur du groupe, l’homme des répercussions, qui récapitule : « Quoi de plus “simple” que les tambours et les roseaux ? Nous serons ici “libérés” du soutien harmonique d’un piano ou d’une guitare, d’une basse ; mais aussi de l’électricité. Retour au primordial ? Liberté ? Liberté pour moi essentielle dans la musique que nous défendons. Je pense aux origines, aux tambours accompagnés de voix. Je pense aux fanfares et à la liberté de pouvoir jouer en toute circonstance… Explorer la répétition, le contrepoint et les différentes tessitures du saxophone, les différentes voix de mes camarades de jeu. » Et le batteur d’évoquer aussi bien les sections d’anches des orchestres de Count Basie et de Stan Kenton que celles de l’orchestre de James Brown, le travail des timbres chez Jimmy Giuffre ou chez Steve Reich… Silvant aurait tout aussi bien pu citer la première incarnation de Bindu, la formation à géométrie variable d’Hamid Drake qui s’était alors entouré de soufflants, dont Dawkins. Trois saxophones et une seule batterie, une chaîne de montagnes, les torrents qui dévalent ses pentes, les coulées de lave qui épaississent ses flancs, les remontées tout sauf mécaniques (les ascensions selon John Coltrane), ou comme le dit si bien Antonin-tri Hoang, « l’occasion rêvée pour réinventer un son, redevenir un enfant qui découvre tout au fur et à mesure, qui compose avec les objets, les êtres et les paysages autour de lui. Trouver une musique commune qui n’aurait plus d’âge, plus d’origine, mais une langue pour gazouiller, des pieds pour se déplacer et le voyage pour grandir. »